La street cred d’une bouquineuse

L’air espiègle et dotée d’un esprit inarrêtable, Zou fait partie de ces rencontres que l’on n’oublie pas, de ces personnes qui savent, en quelques mots, rendre tout possible à ceux qui veulent bien y croire. Pour le plus grand bonheur de ses lecteur.ices, l’artiste condense cette maîtrise du phrasé et sa créativité débordante dans son travail. Tantôt chroniqueuse, curatrice, organisatrice d’évènements, mais toujours autrice, La Wesh Littéraire nous fait part d’un bout de son univers. Un monde rempli de kebabs (littéraires) où l’on dit wesh avec des fleurs.

Crédit photo : @garguebuse

MAARS : Pourrais-tu revenir sur ton parcours et comment tu as commencé à écrire ?

Zoubida Yasmine Tabti : Moi c’est Zou, aka La Wesh Littéraire sur Instagram, je suis avant tout autrice et chroniqueuse. J’aime beaucoup parler des livres que j’apprécie sur Instagram et sur Le Kebab Littéraire, qui est à la fois le nom de mon blog et des événements que j’organise.

À mes 17 ans, mon père voulait absolument que je participe à un concours de nouvelles, ce que je refusais. À ce moment-là je n’écrivais pas, l’idée d’écrire ne m’intéressait pas du tout. Je faisais des études de lettres, je pensais faire un doctorat, devenir prof de lettres, peut-être écrire pour des médias et continuer l’évènementiel dans le domaine littéraire. Le tout dans ma petite vie bien installée à Alger. Un jour, il me l’a proposé sur le ton du défi et j’ai accepté de le faire. J’ai passé le pire moment de ma vie à écrire cette nouvelle. Puis j’ai oublié et je suis passée à autre chose, jusqu’au jour où on m’a appelée pour me dire que c’était trop bien que je sois éditée et publiée. Ça m’a surprise, mais visiblement j’avais remporté le prix de la nouvelle.

Ensuite, j’ai participé de nouveau à un concours de nouvelles que j’ai également remporté. Grâce à ça j’ai eu pleins d’ateliers d’écriture, d’opportunités professionnelles en plus de ce que je faisais déjà. Après je suis venue en France, mon émigration a été le premier moment où j’ai commencé à écrire en le voulant vraiment car mon pays me manquait terriblement. Ma seule manière de rester au bled, c’était d’écrire. J’avais un petit projet d’écriture qui a grandi au point de devenir un projet de roman. C’est à ce moment-là que je considère avoir vraiment commencé à écrire, mais en réalité j’ai décidé de devenir autrice à 25 ans. Donc c’est venu beaucoup plus tard.

MAARS : Pourquoi as-tu choisi le pseudonyme La Wesh Littéraire ?

Z.Y.T : J’étais tombée dans l’univers « Bookstagram », qui est la niche des influenceurs littéraires. C’était à un moment où j’étais en train d’écrire, j’avais besoin d’inspiration, de savoir si les gens avaient des suggestions de lectures. Je ne me retrouvais pas dans ce qui était proposé. C’étaient souvent des chroniques très simples, dans le sens : un petit résumé, ce que la personne a pensé des personnages et de l’intrigue. La proposition esthétique était également très « petit livre sur la cheminée, guirlande lumineuse et petit thé », le cliché du littéraire. Ce que j’affectionne, mais qui n’est pas moi. Les pseudos ressemblaient beaucoup à « le papillon littéraire », « la fleur littéraire » etc. À force, je me suis dit que je pouvais en faire quelque chose d’un peu golri.

À cette période-là, j’écrivais un roman dont le personnage principal était un mec de quartier. Je me suis dit : « Imagine qu’une caïra doive raconter des bouquins que j’ai lu, en littérature classique comme en littérature d’expression française, post-coloniale etc. ». Le deal était de créer un avatar et d’imaginer ce qu’il dirait sur du Baudelaire, du Rimbaud ou ce qu’il penserait des Liaisons Dangereuses et comment il le dirait. C’est devenu pour moi un exercice de style un peu drôle, j’imaginais ça un peu comme un compte troll. Au début, je ne savais pas quoi mettre en pseudonyme. Le seul mot que je trouvais était « Wesh », je me suis alors dit que ce sera La Wesh Littéraire. C’est pour ces mêmes raisons qu’il y a aussi Le Kebab Littéraire, en référence aux cafés littéraires.

Crédit photo : @garguebuse

MAARS : Dans ton ancienne bio Instagram, tu disais te situer quelque part entre JUL et Mallarmé, qu’empruntes-tu à la plume de chacun ?

Z.Y.T : Dans la même idée que La Wesh Littéraire, quand j’ai écrit ma bio je n’étais pas en train de réfléchir et j’ai noté la première bêtise qui me sortait de l’esprit. J’ai beaucoup essayé d’expliquer qui j’étais, ce que ça voulait dire quelque part entre JUL et Mallarmé, ce qu’était La Wesh Littéraire et quel en était le concept. Mais à chaque fois que des personnes rapportaient ce que j’avais dit j’étais très déçue. J’avais l’impression que ce que je disais était nul car c’était tout simplement faux et que je n’avais pas réfléchi à ces choses-là.

Je pense que ce n’est pas à moi d’expliquer ce qu’est La Wesh Littéraire. Lorsque je commence à produire des choses et qu’on me demande des explications, souvent je tombe dans le piège d’en chercher. Je pense que ce n’est pas la place de l’artiste. C’est aussi pour ça qu’il y a des médias et des critiques d’art. Je fais les choses et après j’essaie de les organiser pour faire comme s’il y avait une direction bien organisée alors que ce n’est pas nécessairement le cas.

Peut-être que c’est aux autres de faire leur propre interprétation de ce que signifie « quelque part entre JUL et Mallarmé ». Je pourrais te dire que c’est parce que j’ai des inspirations très street et d’autres beaucoup plus classiques, surtout que Mallarmé est l’un des poètes les plus exigeants dans sa discipline et les plus difficiles à comprendre. D’une certaine manière, je trouve que JUL aussi est un poète difficile à comprendre. Je voulais confronter deux incompréhensions. Mais je n’aimerais pas nécessairement qu’on pense que c’était mon intention car je n’en avais aucune, à part celle de me taper une barre.

Crédit photo : @garguebuse

“J’écris comme on offre des fleurs.”

Crédit photo : @garguebuse

MAARS : De quelle manière te viennent tes inspirations ?

Z.Y.T : Les idées me viennent principalement de ce que je vis. Généralement, j’essaie d’écrire pour les autres. Ce sont souvent les gens que je croise qui m’inspirent des impressions, des décors. J’écris comme on offre des fleurs. Je dis souvent que je fais de la poésie-pansement, il y a une volonté de guérir quelque chose. L’origine de tout reste quand même mon immigration. Cet événement m’a tellement marquée que ça a fait une sorte de déflagration d’inspiration et de moments où j’ai l’impression de mener une sorte de double-vie un peu schizophrène. Je ne fais pas partie des personnes qui estiment avoir immigré par envie.

J’ai parfois des obsessions sur des choses très particulières. L’année dernière c’était les palaces, j’ai développé plusieurs projets autour de cette thématique, de l’événement à l’écriture. Au début, mon obsession était les livres. A Alger, j’ai grandi avec des personnes qui s’intéressaient à tout, du contenu le plus élitiste au plus trivial. Il s’agissait de relations intellectuelles, littéraires et artistiques profondes – mais ça c’est la première partie de ma vie. Maintenant, ces relations se sont muées sous la forme d’obsessions esthétiques et dans l’idée de vouloir retourner le cliché au point de l’étouffer. Ce sont surtout des images stéréotypées qui m’ont été attribuées quand je suis arrivée en France.

Au début, ça m’a créé une sorte de dégoût car je suis ni ce à quoi on me réfère ni une femme « racisée », je suis une blédarde. Je tenais vraiment à me différencier parce que j’avais trop peur d’être ce qu’on me renvoie. A force de vivre plus longtemps en France, les clichés au travers desquels on me percevait sont devenus une véritable obsession. J’ai essayé de séduire le préjugé en lui tournant en rond, en le tordant constamment avec cette idée d’aller plus loin que tous les clichés qu’on peut avoir sur moi jusqu’à les vider de leurs substance. C’est pour ça par exemple que j’ai un rapport aussi fort avec la logomania. J’essaie d’en faire des récits presque extrapolés, les annuler en les multipliant.

“C’était un moment fou, plein de fureur et de joie – à l’image de jeter de la fureur comme des confettis. On était dans un petit café à Belleville, au milieu de pleins de livres.”

MAARS : Le Kebab Littéraire est un blog avant d’être des événements, peux-tu expliquer son fonctionnement ?

Z.Y.T : Le fait d’écrire des chroniques sur Instagram m’a permis de rencontrer pleins d’auteurs.ices très différents. J’ai alors voulu que mon blog devienne réalité en créant les événements du Kebab Littéraire. Le premier Kebab Littéraire s’est fait en 10 jours. J’ai contacté toutes les personnes que je connaissais et par miracle elles étaient toutes disponibles. C’était un moment fou, plein de fureur et de joie – à l’image de jeter de la fureur comme des confettis. On était dans un petit café à Belleville, au milieu de pleins de livres. Je ne pensais pas en refaire de sitôt, mais le deuxième s’est tenu à peine 2 ou 3 mois plus tard. J’avais connu tellement de personnes au travers des chroniques qu’il fallait continuer.

Crédit photo : Charly Ayaovi

Généralement, les auteurs.ices m’écrivent pour me dire qu’iels aimeraient participer, j’essaie de ne refuser personne. La dernière fois j’ai reçu trop de textes, alors on a organisé un événement sur deux jours. Il n’y a pas de ligne éditoriale et mon goût n’intervient pas dans la sélection des contenus. La seule chose que j’essaie d’apporter en tant qu’organisatrice est la pluralité des textes. Je ne me place pas en tant que juge dans la sélection des artistes, je suis une pote, une collègue – dans le sens marseillais – et c’est comme ça que je veux être traitée. C’est un moment de partage où on discute des textes des uns et des autres. En tant qu’autrice j’ai besoin de dialoguer, ce qui m’est possible quand je monte sur scène.

Le Kebab, je l’ai imaginé comme si c’était mon espace au sein duquel j’essaie d’être une bonne hôte pour mes invités. C’est un événement qui est fait-main, autofinancé. Je reste le noyau constant du Kebab Littéraire, mais il y a plein de gens qui nous ont aidés à différents moments. On a un président des Kebabs, Chakib, Lucas notre photographe, Coco qui est régisseur lumière et technique et Lucie Meslien qui est illustratrice et graphiste. En ce moment on est rejoints par d’autres personnes dont je parlerai très bientôt.

MAARS : Est-ce vraiment possible d’avoir aucune ligne éditoriale ?

Z.Y.T : Je pense que la ligne éditoriale n’est pas vraiment un point de départ, mais plutôt une ligne d’arrivée. Le Kebab Littéraire ne vit pas depuis assez longtemps pour réellement parler d’une ligne éditoriale. Ce sont les éditions se succédant qui la créent. J’essaie de mettre en place un comité de lecture afin de pouvoir débattre et trouver les meilleurs termes car ce sont des récits fragiles. Même si on n’accepte aucun cloisonnement identitaire, ce n’est pas un événement militant ou urbain car il n’y a pas que ça. L’intérêt pour l’esthétique, le panache, fait également partie des marqueurs du Kebab. Pour le moment je dirais que c’est de la littérature d’expression française, car on n’est pas encore tombés d’accord sur des mots qui ne soient pas trop connotés. Actuellement, le seul terme pouvant convenir est “pop cultures” car c’est assez large et un peu frontal vu que l’on n’est pas dans de la poésie contemplative.

Crédit photo : Le Kebab Littéraire

MAARS : Le Kebab Littéraire se déroule entre Paris et Marseille. Quel est ton rapport avec ces deux villes ?

Z.Y.T : J’ai une division assez claire de mon travail : j’écris à Marseille et j’exploite mes textes à Paris. Pendant un moment j’ai vécu avec cette dualité. C’était assez impressionnant quand on a fait le Kebab à Marseille car il s’agit d’un événement purement littéraire et on a tout de même réussi à réunir 500 réservations. L’année dernière on avait fait un événement à Paris, un autre à Lyon et une sortie de résidence à Marseille. L’idée étant qu’à long-terme le Kebab Littéraire soit ambulant afin de mettre en valeur les scènes montantes que ce soit en France ou ailleurs.

Crédits photos : Le Kebab Littéraire / Charly Ayaovi

“Pour le Kebab Super-vilains il y avait une robe de 5 mètres à l’intérieur de laquelle on pouvait entrer et découvrir une théière, un aquarium de thé à la menthe, des babouches Louis Vuitton et un poème sonore.”

MAARS : Que ce soit dans les contenus du Kebab ou de La Wesh Littéraire, on constate toujours que tu apportes un soin aigu à tes tenues. Quel est ton rapport à l’esthétique ?

Z.Y.T : J’essaie toujours de faire en sorte de ressembler à mes textes. Mon obsession du moment ce sont les contrefaçons et la manière dont on s’approprie l’industrie du luxe. Ça peut être autant un article clinquant que quelqu’un qui se fait tatouer un crocodile Lacoste. Dans mes posts, la logomania va prendre la forme du maquillage Nike par exemple. Avec la proposition esthétique qu’il y a dans Le Kebab Littéraire et La Wesh Littéraire, je pense qu’il y a très peu de gens qui ont fait autant de pub pour Adidas que moi.

Crédit photo : Yosra Farrouj

Je conçois un peu mes vêtements de scène comme un uniforme de travail, sur le Kebab on fait également de vrais efforts de scénographie. Pour la dernière édition il y avait une arche de mariage et une forte présence de motifs floraux. Le thème de la scéno était « mariage de cartel ». Il n’y a pas de thématiques dans les Kebabs, mais il y a des esthétiques avec des scénographies qui reviennent. J’essaie de les retranscrire dans mes tenues. L’originalité la plus distinctive du Kebab Littéraire, c’est de créer une scène forte et colorée.

Dans les descriptions les vêtements ont une importance, la mode et la littérature sont deux univers créatifs extrêmement liés. Par exemple, le Poème Monumental est un poème que j’ai peint sur un tissus de 13 mètres. Pour le Kebab Super-vilains il y avait une robe de 5 mètres à l’intérieur de laquelle on pouvait entrer et découvrir une théière, un aquarium de thé à la menthe, des babouches Louis Vuitton et un poème sonore. Ce que j’essaie d’expliquer c’est, qu’en tant que femme algérienne, le textile comme le haïk, les tissus de ma grand-mère, c’est ce que je retiens des femmes qui m’ont élevé. Il s’agit également de la seule manière par laquelle je peux encore les retrouver aujourd’hui.

Crédit photo : Le Kebab Littéraire

Le dernier texte de Zou, Je suis un oiseau haut en couture est à retrouver dans le troisième numéro de la revue poétique Lettres d’Hivernage aux éditions La Kainfristanaise, lien juste ici.

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