Qu’est-ce que c’est plaisant d’être indépendante
Rencontre avec Rita L’Oujdia à quelques jours de la sortie de son nouvel EP, h.u.b.
“Et c’est bandant d’être indépendant.” concluait Booba à 3:04 du deuxième morceau de son album, devenu un classique, Temps Morts. Et si la gimmick date de 2002, elle semble pourtant avoir été faite pour Rita L’Oujdia. A seulement 23 ans, l’artiste se révèle plus complète que jamais : auteure, compositrice, réalisatrice ou encore ingénieure son, L’Oujdia fait preuve d’une pluridisciplinarité rare, cadeau de sa curiosité. Après quelques années d’absence sur les formats longs, elle sortira le 8 novembre prochain h.u.b (heart under blitz), un EP marqué par des influences allant de Cheb Khaled à Rosalia. En six titres, portés par des paroles en anglais, en espagnol et en darija (dialecte arabe marocain), l’artiste explore les facettes complexes de l’amour pour un projet qui sonne comme un nouveau départ. Indépendante, aussi bien d’un label que dans la conception de ses morceaux, L’Oujdia nous parle de son parcours, de l’affirmation de son identité musicale et de son rapport aux langues.
MAARS : D’où vient ton nom de scène ?
Rita L’Oujdia : J’ai commencé à sortir des chansons à 14 ans sous le nom de “Rita”, sauf que c’est très court et qu’il y a déjà pas mal d’artistes qui ont ce nom. C’était donc difficile de me retrouver sur les plateformes. A l’époque, je me surnommais déjà “Rita L’Oujdia” sur Instagram et les gens m’appelaient sous ce pseudonyme qui signifie Rita de Oujda, la ville où je suis née. C’était assez amusant, car souvent au Maroc ce sont les chanteurs de raï qui mettent leur ville d’origine dans leur nom de scène. J’ai donc gardé ce nom car la symbolique montre que même si je n’y ai pas grandi, je porte Oujda dans mon nom et mon identité. Je me dis aussi que le jour où Rita L’Oujdia pète aux Etats-Unis, les Oujdi vont être trop contents, imagine Oujda à Hollywood. (rires)
MAARS : Quelles sont tes inspirations musicales ?
R.L.O : Plus jeune, j’écoutais des chanteuses auteures-compositrices — comme Adele, Amy Winehouse, Tracy Chapman ou encore Souad Massi — qui jouent du piano ou de la guitare pour raconter des histoires. Puis, les musiques latines et arabes ont eu de plus en plus d’influence. Elles m’inspirent au niveau de la production, du rythme et du choix des instruments, ce sont des sonorités avec lesquelles j’ai grandi. Dès mes 3 ans, avec ma famille on voyageait en Espagne tous les étés. Pendant les vacances il y avait la mini disco pour les enfants, il y passait du reggaeton, Daddy Yankee – j’ai des souvenirs de moi petite en train de danser sur La Gasolina. (rires)
L’importance de s’entourer
MAARS : Tu es diplômée du Conservatoire de Lyon, tu écris, chantes et produis tes morceaux toi-même. Actuellement, tu viens de finir tes études en ingénierie son à Londres, as-tu toujours voulu avoir une telle versatilité dans ce que tu fais ?
R.L.O : Je ne sais pas si c’était vraiment une volonté, mais c’est comme ça que j’ai grandi. Plus jeune, je passais mon temps entre le conservatoire, l’école et le sport. J’étais tout le temps très occupée, ça m’a habitué à faire constamment plusieurs choses à la fois. Dans la musique, cette évolution s’est faite naturellement, sans que j’en ai réellement conscience. Plus je faisais de la musique, plus j’avais envie d’apprendre. Par exemple, aux alentours de mes 10 ans j’avais déjà appris le piano seule. Ce sont comme des capes que j’ai passés au fur et à mesure.
D’un côté, cela me donne beaucoup de liberté car je peux créer seule une musique de A à Z. D’un autre, c’est assez bloquant car parfois je me retrouve devant tellement d’options que je n’arrive pas à prendre des décisions et je ne produis rien. Il y a aussi une pression qui se rajoute, car il faut penser à la réalisation de chaque étape. Il est parfois bon de déléguer pour pouvoir se concentrer un maximum sur une partie d’un projet afin d’avoir une meilleure qualité. Tous les jours je me dis que j’ai envie d’être accompagnée par une équipe car c’est précieux d’échanger avec d’autres créateurs.
MAARS : Au début de ta carrière tu étais signée dans un label. Qu’est-ce que qui change lorsque l’on devient artiste indépendante dans une industrie musicale connue pour son environnement misogyne ?
R.L.O : J’ai travaillé avec ce label pendant 1 an et la plupart de mes interlocuteurs étaient des hommes. Aller en studio avec un producteur était tout nouveau pour moi, en tant que femme tu sens les sous-entendus misogynes. La société n’est pas sans reste sur cette question, mais dans l’industrie musicale c’est décuplé. Redevenir indépendante a été quelque part un soulagement. Cela m’apprend des aspects importants pour un artiste comme le fait de défendre ses intérêts et négocier. J’ai beaucoup de remises en question sur la manière dont je me présente à des inconnus. Je commence à me dire qu’il faudrait peut-être que je commence à avoir une façade un peu froide car en tant que femme tu lâches deux sourires et ça y est, on ne te prend plus au sérieux. J’aime les gens, rire et créer des amitiés, mais ce sont des aspects de ma personnalité qui peuvent être mal interprétés.
De manière générale, avoir quelqu’un qui te représente dans l’industrie de la musique c’est hyper important car il y a beaucoup d’organisation à gérer. Pour être pris au sérieux, avoir un représentant ça aide que l’on soit un homme ou une femme. Par contre, de mon vécu j’ai l’impression que les femmes artistes ont parfois tendance à laisser leurs représentants parler à leur place alors qu’elles ont plus de choses intéressantes à dire. En face, les gens donnent l’impression que si une artiste a un représentant cela signifie qu’elle n’est pas assez pertinente pour pouvoir parler pour elle-même. Je l’ai ressenti par moments lorsque j’étais en label. Il faut trouver son propre équilibre. Voir comment la misogynie fonctionne au sein de ces industries créatives donne par moments l’impression qu’il est plus simple de jouer le jeu avec un manager qui peut te défendre plutôt que de porter tout le poids sur ses épaules.
Se construire entre plusieurs cultures
MAARS : Si on devait retenir un seul de tes titres ce serait lequel ?
R.L.O : Pour maintenant et à l’avenir il faudrait retenir Parara car ce morceau c’est moi jusqu’à la fin. Il reprend mes souvenirs du Maroc, ce qui aide à comprendre mes chansons. Je n’aurais jamais pu réaliser le clip sans mes proches à Marrakech. L’un d’eux s’est occupé de toute la production, il connaît la ville comme sa poche. J’ai eu des retours très positifs sur l’ambiance et l’authenticité qui se dégagent de la vidéo. C’était un moment que l’on a créé entre potes, on ne pensait même plus au tournage.
MAARS : Quel est ton rapport au Maroc ?
R.L.O : Plus jeune j’allais au Maroc tous les étés, mais ces dernières années j’y vais environ tous les 2 mois. L’été dernier je suis restée à Casa pendant quelques mois pour voir si la vie là-bas me plairait. Avant je me disais que j’irais vivre à Casa, qu’il n’y avait pas de doute là-dessus. Mais le fait d’aller régulièrement à Marrakech, m’a fait réaliser à quel point c’est un lieu qui ne se repose jamais. Il y a toujours des événements culturels. La ville est remplie à craquer, il y a pleins de personnes qui ont envie de créer. C’est tellement stimulant et ça change de Londres où c’est beaucoup plus compliqué moralement. Le quotidien dur et l’inflation jouent sur la créativité et la motivation. Il est aussi difficile d’y garder une certaine stabilité. C’est une ville qui a tout de même de beaux aspects, il a une facilité à faire ce qu’on veut que l’on ne retrouve pas ailleurs. Il y a aussi beaucoup de fonds qui sont mis en place pour les créatifs.
Aller au Maroc me permet de pouvoir garder l’équilibre. A chaque fois que je pars du Maroc ça me déchire le cœur. C’est bizarre car je n’y ai pas vécu, mais depuis que j’y vais souvent il y a pleins d’attaches et un sentiment très fort que je ressens quand je suis là-bas. Par rapport à ma musique, je sens qu’il y a vraiment quelque chose à faire là-bas. Le choix musical que j’ai pris touche surtout une audience marocaine, être sur place me permettrai de pouvoir faire plus de concerts. Je ne trouve plus vraiment de sens dans le fait de continuer ma musique à Londres, notamment en termes de visuels. h.u.b est un projet qui est basé essentiellement au Maroc.
MAARS : D’où vient ta passion pour les langues ?
R.L.O : En grandissant je ne parlais que darija avec mes parents et français dehors. Je me suis initiée aux langues via la musique. L’espagnol, je l’ai appris parce que j’ai eu une période où je n’écoutais que du reggaeton, de la salsa, du merengue, de la cumbia... Je me suis beaucoup immergée dans la culture hispanique, je regardais des télénovelas et des séries en espagnol, je parlais la langue avec mes potes d’Espagne.
Ça a été le même processus pour le portugais. Je voulais apprendre la langue depuis quelques temps et par hasard j’ai commencé à travailler dans un bar où il n’y avait que des Brésiliens. A Londres, la communauté brésilienne est importante et souvent lorsqu’un manager est brésilien il va employer des personnes qui le sont aussi. J’ai noué des amitiés avec des membres de mon équipe. La plupart d’entre eux ne parlait pas bien anglais donc c’était dur au début de comprendre. Mais comme mon entourage et mon quotidien sont devenus brésiliens, de la nourriture à la musique, ça m’a beaucoup aidée.
Aujourd’hui je cherche surtout à progresser en arabe. J’ai envie de continuer d’inclure plus de darija dans ma musique. Ma première chanson incluant du darija s’appelle Trop Tard et date de mon premier EP Kontrol. Aujourd’hui j’ai des morceaux qui sont presque totalement en arabe. C’est une langue hyper belle mais dans laquelle il m’est complexe d’écrire. Il y a des figures de style et des expressions que je ne connais pas car j’ai appris le darija en parlant avec ma famille, d’où mon envie de l’étudier. Souvent, lorsque j’ai envie de dire un mot que je ne connais pas en darija je saoule ma mère sur WhatsApp en lui demandant la traduction ou je lui envoie des paroles et elle me dit si j’ai écrit n’importe quoi.
MAARS : Qu’est-ce qui change quand on compose des morceaux dans des dialectes qui ne sont pas notre langue maternelle ?
R.L.O : Quand j’écris des chansons, les paroles me viennent naturellement dans une langue ou une autre. C’est un moment où j’essaie de me vider l’esprit et ne pas penser à cette question car si j’y pense trop, les changements de langue deviennent mécaniques. Pour l’instant je n’ai jamais traduit mes textes, mais j’aimerais le faire à l’avenir. En général, une langue va ressortir plus qu’une autre en fonction de ce que je raconte. J’ai remarqué que quand j’évoque des émotions assez fortes, passionnelles, c’est l’espagnol ou le darija qui ressort. Je pense que c’est dû à la culture. La manière dont j’écris mes chansons est très ancrée dans les consonnes et le rythme, plus que la mélodie. En espagnol et en darija, les sonorités qui m’intéressent sont les -ka, les -kha et les -ra, ainsi que la manière de jouer avec. Alors que pour des thématiques plus douces ça va plutôt être de l’anglais, même si l’espagnol s’y prête bien aussi.
MAARS : Sur tes réseaux on peut te voir faire de la danse du ventre avec l’artistes Leïlah Isaac. Est-ce qu’on ressent sa propre musique de la même manière lorsqu’on l’interprète en dansant plutôt qu’en chantant ?
R.L.O : Quand tu performes sur tes propres chansons c’est difficile de trouver de nouvelles manières de les incarner. Danser donne un tout autre spectre d’interprétation. Par exemple, quand on a fait Todo la chorégraphie a donné un aspect beaucoup plus léger et féminin à la chanson. Tandis que pour Mujer Cobra, ça a apporté une facette très envoûtante. A l’avenir, j’aimerais pouvoir faire des chorégraphies pour tous mes morceaux car ça apporte de l’énergie et d’autres sens à la musique.
Cover et tracklist h.u.b, Crédit photo : Salaheddine El Bouaaich
En attendant sa sortie vendredi 8 novembre, h.u.b est disponible en pre-save dès maintenant sur Spotify et Apple Music.