Rencontre avec Yassine, fondateur de YassTwice

Avec des pièces aperçues aussi bien sur Zamdane que sur Rim’K, Yasstwice dessine un paysage Méditerranéen paisible. Retour avec Yassine sur la création du label, ses souvenirs du Maroc et les coulisses de ses deux derniers court-métrages.

Extrait du court-métrage ATLAS WORKSHOP, crédit photo : @simux2000

Une question de prétexte

MAARS : Comment est né Yasstwice ?

Yassine : Si on parle du projet vêtements, je commençais un peu à utiliser les logiciels, Photoshop etc. Je voulais faire des vêtements que je pouvais porter avec des designs qui me plaisaient, mais vraiment pour le fun à la base. J’ai fait un petit compte secondaire sur Instagram - j’y postais pleins de photos de mes vacances au Maroc et en Grèce - un jour je mets un truc qui n’a rien avoir, une espèce de petit mock-up de sweat avec des petit pictogrammes dessus. J’ai un pote qui me dit qu’il en veut un, du coup je commence à en faire et de là je fais un site etc. A la base, ça n’avait rien avoir avec ce que je fais maintenant, c’étaient juste des vêtements pour le fun. Yasstwice, si on parle de la vibe, ça vient du fait que je suis grave inspiré par l’endroit d’où vient mon père et que je n’ai pas grandi au Maroc. C’est ce truc-là de vouloir rendre hommage, ça me permet de garder une connexion là-bas, car ici j’ai que mes souvenirs on va dire. Par la suite, j’essaie de rendre hommage au Maroc et à la Méditerranée en général, tous ces souvenirs d’enfance que j’ai.

MAARS : Comment es-tu passé de créer des sweats pour ton pote à tisser une narration et tout l’univers qui viennent se broder autour de Yasstwice ?

Yassine : Ça s’est vraiment fait au fur et à mesure, car ce que je faisais au départ c’était un prétexte en fait. C’était un prétexte pour commencer à essayer de créer, parce que j'ai toujours voulu toucher un peu à l'art, mais pas à un domaine en particulier. Je suis quelqu’un qui s’éparpille énormément et si je me mets dans une spécialité, que ce soit la mode, la photo ou peu importe, je vais avoir une frustration qui fait que je ne serai pas épanoui. Donc c'était vraiment progressif, je me suis dit : « Bon, là, les vêtements, c'est un prétexte pour commencer à utiliser tel logiciel et progresser en dessin, en design etc. ». Au fur et à mesure, j'ai expérimenté un peu la photo, la vidéo, j'ai fait quelques voyages entre temps. En fait, juste en prenant un peu tout mon environnement en photo et en gardant ces moments-là, j’essaie de trouver des moyens de ressortir ça différemment. C’est en me nourrissant au fur et à mesure que j'ai commencé à aboutir à un univers vraiment plus méditerranéen.

Crédits photos : Yasstwice

MAARS : Est-ce que Yasstwice te permet de trouver une sorte d’équilibre entre tes différents héritages culturels, ou est-ce que le projet te permet plutôt de t’exprimer sur cette harmonie que tu possèdes déjà ?

Yassine : Je dirais un peu des deux, car j'ai toujours été plus ou moins connecté à mes origines. Mais en même temps, comme je le disais à la première question, c'est toujours une question de prétexte. J’ai besoin de raisons de faire des choses, j'irais pas de moi-même comme ça, passer trois mois au Maroc sans aucune raison précise.

Au final, la création de Yasstwice c'est ce fameux prétexte-là pour expérimenter sur l'art, la création en général, et en même temps me reconnecter avec mes origines. Parce que, dans chaque projet que je fais, j'essaie de mener une petite histoire. Donc forcément il faut lire un peu, regarder des documentaires, il faut même voyager. Le voyage c’est d’ailleurs ce qu’il y a de mieux.

Cultiver les souvenirs

MAARS : Où puises-tu tes inspirations ?

Yassine : Dans mes souvenirs d'enfance, mes souvenirs en général, ma galerie photo sur mon tel… J’ai envie de dire Pinterest aussi, un peu comme tout le monde. Après, mes inspirations viennent directement du Maroc, parce que c’est là où j’allais en vacances. Donc c'est le village de mon grand-père, c'est toutes ces petites maisons en terre cuite au pied de la montagne, le désert, les palmiers… Ce sont tous ces décors qui me sont familiers, mais en même temps hyper lointains parce que je ne les ai pas connus, je n'ai pas grandi là-bas. Je les ai juste vu comme ça, un mois dans l'année, depuis que je suis petit.

MAARS : Y-a-t-il également des personnes ou des éléments culturels qui t’inspirent ?

Yassine : Des personnes, bien-sûr. Ma famille du côté de mon père, énormément. Il faut se nourrir de pleins de supports différents, l’image ça suffit pas, même les souvenirs. Par exemple, c’est mon grand-père qui est venu en France. Je l’ai connu pendant 10-11 ans, puis il y a des souvenirs et les photos. En fait, c'est à la fois dans la façon de parler, dans l'allure et dans la personnalité que je trouve que les hommes de ma famille m’inspirent beaucoup de sérénité. Ils ont ce truc-là que les personnes âgées ont aussi. Ce sont des personnes qui ont du vécu, elles ont des choses à dire, mais ce sont des rocs, et ça me fascine. Je m’inspire des personnes, leurs styles, leurs histoires, les documentaires, puis la musique aussi évidemment.

MAARS : D’ailleurs, pourquoi avoir choisi le soin et la sérénité comme valeurs du projet Yasstwice ?

Yassine : La sérénité c'est cette attitude-là, un peu de détachement et de contemplation. Il s’agit de quelque chose qui revient beaucoup dans mon processus. Avant de se mettre dans un projet, il y a toute un temps où tu vas te poser, observer, contempler, t'inspirer. Je trouve que c’est une phase qui apporte beaucoup de sérénité. Parce que tu es juste posé, t'observes, tu fais limite de l'anthropologie car tu contemples les gens, tu vois comment ils agissent etc. Je dirais que le soin c’est l'attention, le geste précis, des intentions nobles… Ce sont les deux valeurs dont j’essaie de m’inspirer pour faire mon projet.

Extrait du court-métrage ATLAS WORKSHOP, crédit photo : @simux2000

MAARS : On a l’impression qu’il y a quelque chose de très pieux qui émane de tous ces éléments qui sont à la base de Yasstwice.

Yassine : Je pense que la religion est une source indirecte d’inspiration. Du moins pas la religion en tant que telle, mais son aspect relatif à la culture et à la civilisation. Que ce soit dans les édifices, les cathédrales, les mosquées, les synagogues… Il y a quelque chose de noble dans leur atmosphère paisible, sereine. Et typiquement au Maroc, très souvent, même si un village est pauvre, il aura toujours son épicerie et sa mosquée. La mosquée c’est un endroit de réunion, un lieu social.

“Je parle souvent de la Méditerranée, mais c'est le Maroc qui m’a inspiré et après j'essaie de naviguer un peu autour.”

MAARS : il y a également une certaine nostalgie qui se dégage de l’esthétique de Yasstwice, d’où provient-elle ?

Yassine : Il y a deux choses. J’ai parlé de souvenirs tout à l’heure, je peux être facilement nostalgique et idéaliser des souvenirs. Il y a donc cette nostalgie-là de l’enfance, des vacances, de revoir tes cousins, de découvrir de nouveaux endroits du Maroc. Je parle souvent de la Méditerranée, mais c'est le Maroc qui m’a inspiré et après j'essaie de naviguer un peu autour. Dans un second temps, je m’inspire beaucoup de la nostalgie des immigrés. Il y a beaucoup de personnes immigrées qui ont une nostalgie folle de là d’où elles viennent. Alors qu'en vrai, c'était pas la belle époque. C'était la galère là-bas et malgré tout, quand tu parles à un immigré, il y a toujours ce truc-là de : « C'était bien quand même. Le soleil, cette atmosphère, ça me manque. ».

Je ne fais pas référence à quelque chose qui m'est arrivé ou à quelqu'un de ma famille en particulier, parce que je n'ai pas vraiment de témoignage comme ça. Ça dépend de qui dans ma famille, mais la plupart ne sont pas forcément tellement nostalgiques. Mais, le souhait de mes grands-parents et de la plupart des gens qui sont venus en France, c'était d’ensuite repartir. J'avais lu un bouquin qui parlait du mythe du retour. Toutes les familles se disaient qu’elles allaient revenir, mais finalement ça ne s’est jamais fait. J’ai l’impression que plus le temps passe, plus les nouvelles générations sont sur le point de réaliser ce rêve de leurs parents ou grands-parents.

Extrait du court-métrage ATLAS WORKSHOP, crédit photo : @simux2000

Faire depuis le Maroc

MAARS : L’artisanat semble être un élément clé de Yasstwice. Au travers de quels mediums entretiens-tu ce lien avec celui-ci ?

Yassine : C'est un élément clé. En tout cas, je pense que ça va le devenir. Parce que je grandis en même temps que ce projet et et je trouve des nouvelles choses qui m'inspirent d'année en année. L'artisanat c’est un peu un déclic que j’ai eu quand je suis allé au Maroc en fin d'année, car le fait de faire de l’art pour une fonction me fascine. On n'est pas dans quelque chose qui est exposé ou que l’on va chercher à interpréter, là on sait à quoi ça sert. Que ce soit un bâtiment, une table de chevet ou autre, je trouve que ça a pour but d’améliorer la vie des gens par la beauté. Donc il y a tout ce concept de la beauté du geste au service du bien-être.

Pour l'avoir vécu au Maroc, il y a des villes comme Rabat ou même Marrakech, où l’artisanat c’est le point central de la culture. Il y a une différence énorme dans la façon dont tu te sens quand t’es entouré de beaux bâtiments et que chez toi tu as des beaux objets etc. Ça paraît trivial, mais ce n'est pas c'est pas un luxe. Par exemple, l'art déco c'est un courant que j'adore parce qu’il y a une intention de faire du beau et en plus c’est utile. Donc, pour répondre à ta question, j'aimerais à terme m'inspirer de ce concept-là et être dans la création de belles pièces, pas seulement des vêtements pour le coup. J’aimerais bien faire aussi des objets, des accessoires, etc. Mais toujours en racontant une histoire. J'adore avoir un objet dont tu sais que le bois vient d'Égypte, qu'il a été manufacturé en Italie et qu’il y ait toute un storytelling, c’est ça que je trouve beau dans l'artisanat. C'est l'hommage que j'aimerais lui rendre.

TAWAZUN CHESSBOXING CLUB par Yasstwice et Piège, modèle : @elmostafa_irgui , crédit photo : @fifou.boi

MAARS : Lorsque tu étais au Maroc, as-tu travaillé avec des artisans locaux ?

Yassine : Pour le court métrage qu'on a réalisé par rapport à TAWAZUN on devait faire un sac de frappe. Tout le thème tournait autour du chessboxing, du jeu d'échecs et de la boxe. Il y avait donc cette dimension-là un peu artisanale, fait-main, et mine de rien assez simple. Le ring a été fait avec des poteaux en bois qu'on a découpés la veille et des cordes qu'on avait achetées chez l'épicier le jour-même je crois. C'était une vraie galère à organiser, mais c’était fou. Pour le sac de frappe, on est allés chez un artisan à Rabat. On a commandé des mètres de cuir, puis, on est allés voir le mec avec un dessin approximatif. Il nous a fait ce sac en deux jours, le rendu était magnifique. Aujourd’hui le sac de frappe est chez ma tante à Rabat, il attend que je vienne le chercher, mais son histoire n’est pas finie (rires).

MAARS : Comment a débuté la collaboration avec le créateur de contenu El Mostafa Irgui ?

Yassine : A la base, je l'avais découvert sur Instagram, je ne sais plus de quelle façon, mais j'avais directement flashé sur son style, la coupe de cheveux, la moustache, les sourcils… le profil m'intéressait trop. Je lui avais envoyé un DM lui proposant d’envoyer quelques pièces. C’était il y a longtemps en plus, j'étais pas encore vraiment sur des vêtements de fou. Je lui ai proposé de lui envoyer les vêtements, qu’en retour il fasse des photos et qu’il partage s’il en a envie. Il était partant, il a fait ses photos et a joué le jeu jusqu'au bout. Ça m’a fait trop plaisir car les photos étaient vraiment jolies. On est resté en contact, on se parlait, chacun regardait un peu les projets de l'autre.

Avant mon départ au Maroc je lui avais dit que je viendrais à Casa. La ville est immense, c’est 4x la taille de Paris, donc pour pouvoir être proche de quelqu'un, il faut le faire. On a pris un AirBnB juste à côté de son bâtiment, on l'a rencontré. C'était un moment cool car je n’avais jamais rencontré une personne d’internet, c’est particulier comme rencontre. Au final, il était vraiment hyper pro et en même temps on s'est bien compris car il touche à tout un peu comme moi ; il fait de la vidéo, il est modèle, réalisateur, il fait de la musique. Il a carrément participé au projet [la campagne photo et vidéo de TAWAZUN ndlr.], il nous a même donné des idées et c’est limite devenu un travail entre potes. On est allés ensemble dans la campagne à côté de Casa, ça a duré une petite après-midi, c’était un trop bon moment. Je sais que ce ne sera pas le dernier projet, on va rester en contact.

Foulard et chemise Yasstwice, crédit photo : @elmostafa_irgui

Yasstwice

MAARS : Aujourd’hui Yasstwice ce sont avant tout une garde-robe et des magazines, mais tu définis le projet comme étant un recueil d'histoires avant d'être une marque. Jusqu'où aimerais tu étendre le label ?

Yassine : Jusqu'où j'aimerais étendre le label ? Franchement, à toutes les disciplines, comme la bijouterie pour la bague YASSTWICE par exemple. D’ailleurs, je voulais la faire depuis assez longtemps et à la base je voulais la produire en local. Mais, je me suis heurté aux moyens techniques et à mes propres capacités à pouvoir le faire, car j’ai aucune notion en bijouterie. En fait, tant que ça me donne un prétexte pour apprendre une nouvelle pratique, je pourrais aller aussi loin que je me l'autorise. Que ce soit la musique, j'aimerais bien, pourquoi pas un jour, faire de la D.A de clip ou même produire un projet musical pour quelqu'un. Ou alors, faire quelque chose à deux avec mon univers et un interprète.

Franchement il n’y a pas de limite, ça pourrait être un café comme une équipe de foot. On design les maillots, on commence à écrire des chants de supporters… Tu peux faire des trucs de fou. Au-delà même de la D.A, c’est tout un concept de storytelling où, par ma propre expérience, je trouve qu'on se sent bien quand on est dans un endroit, qu'on regarde un film, qu'on assiste à quelque chose, qui a une histoire qui est réfléchie, qui a des références, à laquelle on peut s'identifier. Ou pas d'ailleurs, on peut juste se sentir bien dans cette histoire-là. Rare sont ceux qui n’aiment pas le soleil et les vacances. Tant que ça touche à la D.A, au storytelling, il n’y a pas vraiment de limite en soi.

MAARS : De quel projet es-tu le plus fier à ce jour ?

Yassine : Franchement, la collab avec Piège et Fifou sur TAWAZUN. Que ce soit dans le résultat final ou dans le processus. Ça peut paraître pas grand-chose, mais c’est la première fois qu’on fait un truc à l’étranger, qu'on doit mettre autant de moyens, que ce soit d'énergie, d'organisation, d'argent. C'était ma première collaboration avec quelqu'un, Charles qui fait Piège, en termes de création de vêtements. Fifou, on avait déjà travaillé ensemble, mais à moins grande ampleur. Puis il y avait la rencontre avec Mostafa, le fait de connecter avec lui. Quand tu ne parles pas la langue, que tu ne connais pas la ville, que t'as pas d'endroit, que t'as pas le matériel etc., on partait de 0 et en quatre jours on a réussi à monter ce projet. Fifou a fait un travail formidable sur le court-métrage, c’est vraiment fidèle à ce que j'avais en tête. Ça lui a permis aussi d’expérimenter la vidéo, parce qu'il avait aussi envie de se lancer là-dedans. Il y a plein de raisons pour lesquelles je peux être fier de ce projet, ça a vraiment apporté à tout le monde.

Crédit photo : Yasstwice

MAARS : Y aura-t-il une nouvelle édition du magazine Yasstwice ?

Yassine : Il y aura certainement une nouvelle édition, mais à terme, je pense qu'il prendra une autre forme. Plutôt que de réaliser des magazines petit format, on aimerait bien faire des ouvrages, des albums dans lesquels on ne se contenterait pas juste de reposter le contenu qu'on a mis sur Insta. On aimerait vraiment se concentrer sur un sujet, avec des intervenants, des séries photos, des exclusivités dédiées au magazine, précisément. En fait, on aimerait faire quelque chose pouvant se rapprocher des beaux livres, mais ça demande beaucoup de moyens et de temps. Mais je trouve l’art du livre fascinant. Que ce soient les techniques de reliure, la couverture, c’est encore un autre médium que je trouve hyper intéressant.

MAARS : As-tu des projets en cours ?

Yassine : Oui, il y a un deuxième projet qu’on a fait au Maroc [ATLAS WORKSHOP ndlr.]. J'ai bossé avec Simux2000, qui est réalisateur à Nantes. Il est venu avec moi au Maroc et on a créé une série de vidéos par rapport à la bague et à une nouvelle veste. Il y a surtout un court-métrage qui vient clôturer nos 3 mois de workshop passés dans trois villes du Maroc.

La bague et la veste de la collection ATLAS WORKSHOP sont à retrouver sur le e-shop de la marque, et les pièces de la série TAWAZUN CHESSBOXING CLUB sur celui de Piège. Retrouvez Yasstwice sur Instagram juste ici.

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