Rencontre avec Disco Makrout

Revendiquer sa multiculturalité. Ne pas renier son héritage culturel comme d’anciennes générations auraient peut-être pu le faire, mais au contraire le faire sien et partager la richesse qu’il contient au travers de l’art, d’une passion. C’est dans cet élan que Disco Makrout se forme en avril 2022. Mélangeant des styles tels que le gnawa, l’électro et la funk, le duo féminin promeut les musiques arabes et maghrébines tout en montrant que les sonorités orientales ne se limitent pas qu’au raï. Rencontre.

Crédit photo : Naïla Salmi Khodja

MAARS : Disco Makrout est encore très récent mais vous avez déjà une patte bien à vous. Est-ce que vous saviez déjà mixer avant de former votre duo ?

Disco Makrout :
On a appris à mixer ensemble grâce à des workshops FFS, Future Female Sound, au cours desquels il y avait une initiation au mix pour les femmes issues de minorités. Ces workshops ont permis de casser toute la complexité du monde du DJing et de la scène électro. On a également eu l’aide d’un ami qui est DJ depuis plusieurs années et qui a été comme un mentor pour nous.
On a eu notre premier cours d’initiation en février 2022 et en avril on a mis notre premier set sur Soundcloud, mais on a mixé pour la première fois devant des gens en juin.

MAARS : Est-ce que le fait de faire des tutos sur votre TikTok pour apprendre à utiliser des platines a contribué à votre apprentissage du mix ?

D.M :
Pas vraiment. On a surtout commencé à faire des TikToks pour démystifier la chose, surtout auprès des femmes, car pour nous l’une des premières barrières était le manque de représentation de femmes DJs. Quand il y en a, peu sont issues de minorités ou font de la musique qui correspond à ce que tu as envie de faire, donc c’est difficile de se projeter. Faire ces TikToks nous permettait de dire que tout le monde peut le faire, même quand on ne s’y connait pas beaucoup. De plus, on trouvait que les vidéos en format court sont plus faciles à digérer que certaines vidéos que l’on peut trouver sur internet qui sont souvent trop longues et compliquées.

“On aimerait que là-bas chez nous soit plus large qu’un set sur une radio.”

MAARS : Au-delà des mélanges de styles musicaux que vous pouvez faire, je trouve que vous avez un style assez caractéristique, en particulier sur les deux derniers sets Là-bas chez nous que vous avez sorti sur Radio Flouka.

D.M :
C’est sûrement le mélange de nos deux personnalités musicales, à mi-chemin entre de l’ethno-electro et de la funk, qui donne ça. Après on a plusieurs lignes éditoriales.

Là-bas chez nous c’est un concept qui mériterait d’être plus amplement expliqué. En fait, quand tu es issu d’une diaspora ou quand tu es immigré, comment est-ce que tu vis ton multiculturalisme ? Ca passe par plusieurs phases. Il y a des moments où tu seras plus nostalgique, des moments où tu seras plus ancré dans le présent et d’autres où tu verras ton futur avec de l’espoir : « Je vais pouvoir faire des choses et être qui je suis. » et ça c’est Là-bas chez nous.


On aimerait que Là-bas chez nous soit plus large qu’un set sur une radio. D’ailleurs notre idéal serait de rencontrer d’autres personnes et leur demander comment ils se situent par rapport à leurs origines. Il s’agit d’une vraie question que tout le monde se pose, il suffit que tu sois perçu par la société comme étant étranger pour que tu te dises : « Où est ma place ? ». Les réactions par rapport à cette question sont diverses et notre réflexion se porte sur : « A quel stade es-tu en tant qu’artiste quand tu fais de la musique ? » et « Par rapport à tout ça, qu’as-tu envie d’exprimer au travers de ta musique ? ».
On a commencé avec un live sur TikTok avec un artiste tunisien installé au Canada qui fait de la pop et de l’hyperpop. L’idée était de l’inviter pour connaître son positionnement en tant que tunisien dans le monde de la musique et à l’étranger, ainsi que comment il le vit.

Sur Radio Flouka on a commencé une autre ligne éditoriale s’appellant Chakra Opening et qui aborde la spiritualité dans notre quotidien. Ce set est très différent de Là-bas chez nous, mais il y a des sonorités qui se ressemblent, ça dépend de ce que l’on a envie d’exprimer.

MAARS : La première partie de votre 2ème set Là-bas chez nous semble avoir une empreinte encore plus funk que le premier, également on y trouve beaucoup moins de rap. J’ai l’impression qu’il laisse place à plus de nostalgie. Est-ce que c’est quelque chose de volontaire ?

D.M :
L’empreinte que va avoir un set dépend beaucoup de notre mood. On a sorti le deuxième set en novembre, peut-être qu’on a été influencées par la dépression hivernale [rires]. A vrai dire, ce sont surtout les chansons qui représentent une émotion. Effectivement, une grande partie des chansons de Là-bas chez nous 2 sont sur du mineur. A savoir que les chansons sont écrites sur des clés et celles-ci donnent la couleur de la musique. Ces clés vont être tantôt majeur ou mineur, le majeur va être associé à quelque chose de positif, tandis que le mineur à de la tristesse ou de la nostalgie. On n’en était pas forcément conscientes, mais c’est vrai qu’il y a plus de spleen dans le deuxième, en même temps il commence par L’ghorba [NDLR : L’ghorba L’ghorba de Fethi Manar].


L’ghorba c’est un concept très algérien et qui se retrouve dans d’autres pays du Maghreb. C’est cette nostalgie d’un pays que tu as quitté, le mal du pays, c’est aussi l’envie d’un pays que tu rêves d’avoir. Ca se rapproche un peu de la Saudade pour les communautés lusophones.

MAARS : Vous arrivez toujours à proposer des combinaisons inattendues, récemment vous avez publié un TikTok dans lequel vous mixiez ensemble du raï avec Dana Dana et du dancehall avec Murder She Wrote. Est-ce que c’est à force d’éduquer votre oreille que vous parvenez à trouver de nouvelles idées ou est-ce quelque chose qui vous vient spontanément ?

D.M :
Ca dépend des fois, le Raïggaeton c’est concept que l’on va faire hein ! [rires]. Ce sont deux styles qui, même si on a l’impression qu’ils ne se ressemblent pas, ont des constructions musicales similaires. Cela est sûrement dû au fait que les cultures arabe et espagnole se sont beaucoup mélangées, ça a donné l’andalous entre-autres. De ce fait, quand les Espagnols ont importé leur culture en Amérique du Sud, ça a créé un autre mélange.

Pour en revenir aux mixes, c’est une question de s’ouvrir, tenter de nouvelles choses. De toute manière ça s’entend quand ça marche ou non. On teste plusieurs combinaisons, des fois on remarque que ce n’est pas possible, que ça fait mal aux oreilles [rires]. On n’est pas musiciennes de formation, mais à force d’écouter pleins de trucs depuis toutes petites on arrive à faire des ponts entre différentes sonorités.

D’autres fois ça dépend du moment. On avait utilisé Murder She Wrote car à l’époque on écoutait Gata de Anitta, une chanson qui sample Murder She Wrote. Puis on a remarqué qu’il y a beaucoup de chansons qui sont samplées sur Murder She Wrote et on s’est dit pourquoi ne pas essayer nous aussi. Sinon en autre exemple il y a le mix de Warda avec Dua Lipa, ça marche car c’est une combinaison de deux morceaux pop et la pop c’est la même partout. Ce n’est pas parce qu’une musique est orientale que ce n’est pas de la pop pour autant.

MAARS : Vous dites que vous écoutez beaucoup de musiques depuis petites, vos parents écoutaient quoi ?

D.M :
Warda, Majida El Roumi et beaucoup de chanteurs et chanteuses d’Egypte, du Liban. On a grandi avec beaucoup de pop arabe, avec des chaînes qui passaient en Algérie telles que Rotana, Melody, donc t’avais du Nancy Ajram à longueur de journée.

Depuis petites on écoute de tout, de la pop, du RnB, du hip-hop, mais en grandissant on a écouté plus de musiques arabes. On écoutait beaucoup de Gnaoua, c’est un genre musical sub-saharien que l’on retrouve au Maroc, en Algérie, au Niger…Le Gnaoua mélange un style assez oriental et des percussions plus africaines. C’est pour cela que ça nous a beaucoup plus, car c’est l’une des preuves que l’on est vraiment africains. D’ailleurs c’est un genre qui est même beaucoup plus africain et amazigh qu’arabe.

Montage : MAARS Magazine

MAARS : Au-delà d’avoir un style assez caractéristique dès le début, j’ai l’impression que vous avez réussi à trouver votre public assez vite.

D.M :
Parce qu’il y a un manque flagrant de représentation des femmes issues de la région MENA [N.D.L.R : Moyen-Orient, Afrique du Nord] et des femmes africaines en général, surtout en France. Il n’y a pas beaucoup de femmes maghrébines faisant de la musique accessible aux personnes issues de la région MENA.

“Notre culture est aussi cool que la culture des autres, notre musique aussi.”

MAARS : En ce moment il y une sorte de regain de tendance autour des cultures et des musiques des MENA. On a l’impression que de plus en plus de DJs essaient maintenant de mettre des extraits de musiques arabes dans leurs mixes.

D.M :
Ca a toujours été le cas. Ce qu’on peut appeler « appropriation » ça dépend de qui mixe et de qui fait la musique. En France, avec la colonisation, les sonorités d’origine d’Afrique du Nord et de toute la région MENA en général ont toujours été présentes.

Ce qui est différent, c’est que maintenant on en parle plus. Il y a également eu une toute une hype, entre autres, autour de Disco Maghreb de DJ Snake qui a explosé. Par ailleurs, il y a toute la diaspora qui revendique son côté maghrébin et arabe. Alors qu’auparavant c’était hchouma d’être issu d’une famille d’immigrés, maintenant c’est plus une fierté. Notre culture est aussi cool que la culture des autres, notre musique aussi. On peut danser sur du Cheb Khaled sans pour autant être stigmatisé et pointé du doigt en soirée.

Il y avait également la boiler room de Nooriyah et tout le groupe d’artistes londoniens et irlandais, Saliah qui est koweiti et anglaise et Mooving Still qui est irlandais et saoudien. Cette boiler room a beaucoup affecté la scène électro en Europe, car on observe de plus en plus de gens jouer des sonorités orientales avec beaucoup plus de fierté, même s’ils le font ponctuellement. Tu le vois sur leurs réseaux sociaux et des fois même sur leur manière de s’habiller. C’est très cool pour les générations jeunes et pour la scène électro, la culture, la musique. Ca ne fait que l’enrichir.
En fait il ne faut pas voir ça comme « Nous against the world. ». Il faut le voir comme « Comment on peut travailler ensemble pour trouver de nouvelles choses ? ». Parce que, prenons l’exemple du raï, entre les années 30 et maintenant il a beaucoup évolué. Selon les périodes les artistes qui ont contribué à son évolution ne se sont pas contentés de voir des sonorités orientales. Ils se sont inspirés de pleins de genres, en passant du latino à la psychédélique et c’est comme ça que tu fais évoluer un style. C’est pareil avec l’électro, c’est en introduisant d’autres sonorités que tu vas pouvoir faire des choses que tu n’aurais jamais pu écouter avant.

Montage : MAARS Magazine

MAARS : En décembre dernier vous publiiez un TikTok parlant des DJs faisant de la récupération car « être arabe est devenu cool ». Est-ce que c’est quelque chose que vous ressentez assez fortement sur la scène française ?

D.M :
On ne sent pas une grande volonté de la part de la scène parisienne pour mettre en avant des artistes qui passent ce genre de musiques, parce que quand tu dis « Je mixe de l’électro avec du raï. » on va te mettre dans une catégorie et se dire « Ah mais si mon public n’est pas réceptif, il va y avoir des gens qui vont se casser. ». On s’enferme dans cette idée stigmatisante de la musique arabe résumée à des youyous, alors que c’est beaucoup plus large que ça.

Les endroits où l’on a été passées sont majoritairement gérés par des Kabyles ou des collectifs plus ou moins ouverts qui sont eux aussi à la recherche de diversité musicale. Les endroits plus « hypes » à Paris ne sont pas encore ouverts à ça, même s’il y a quand même une démarche qui se fait. C’est voué à changer car il y a une demande de la part de la diaspora qui est de plus en plus en revendication de ses origines.

Concernant la question de la récupération, l’essentiel c’est que, peu importe qui tu es, tu sois fier de tes origines et que tu sois conscient que la musique qui construit ton héritage culturel est tout aussi cool qu’une autre. Par rapport à ça, même s’il y a des artistes qui prennent du temps à mettre en avant leurs origines, il faut se dire chacun son rythme, chacun son parcours. Il n’y a pas d’exagération. C’est comme DJ Snake qui a mis beaucoup de temps avant de se revendiquer algérien [rires]. Que ce soit par opportunisme ou à but commercial, les personnes qui écoutent ça se reconnaissent dedans, elles sont contentes, à l’échelle du monde on écoute leurs musiques, donc peu importe.

Suite à un changement de direction artistique, le duo se nomme désormais Acidusa.

RESEAUX SOCIAUX :

Soundcloud : Acidusa
Instagram : @acidusa_
TikTok : @disco_makrout

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L’arabstrait de Yasmina Bee