Pourquoi faut-il aller voir le film Fanon ?

La sortie de Fanon, réalisé par Jean-Claude Barny, s’est faite dans une relative indifférence. Au-delà d’une promotion quasiment inexistante, le film a été très peu distribué. Tandis que certains y voient un boycott, d’autres invoquent des choix éditoriaux. Trois semaines après sa sortie, le biopic n’en reste pas moins largement invisibilisé — à l’image du grand homme dont il retrace le combat : Frantz Fanon.

Crédit photo : Frantz Fanon (Alexandre Bouyer), dans « Fanon », de Jean-Claude Barny. (EUROZOOM)

Psychiatre, écrivain et penseur anticolonialiste martiniquais, Frantz Fanon a très tôt pris la mesure de la violence du système colonial français. Il en tirera plusieurs ouvrages majeurs, parmi lesquels Les Damnés de la Terre (1961), dont le film suit l’écriture lors de ses années passées en Algérie en tant que chef de service à l’hôpital de Blida. Confronté aux souffrances des patients, Fanon découvre de manière brutale les effets psychiques de la domination coloniale. En soignant à la fois les militants indépendantistes et les soldats français, il prend conscience de l’ampleur d’une violence systémique qui traverse tous les corps. Il choisit alors de s’engager aux côtés du Front de Libération Nationale (FLN), convaincu que seule une contre-violence permettrait d’abolir le colonialisme.

La critique cinématographique pointe une mise en scène plutôt plate et une narration jugée trop didactique. Certains déplorent une représentation trop lisse de Fanon, presque hagiographique, comme figé dans sa propre légende. Perspectives Radicales souligne également dans un post publié sur Instagram plusieurs incohérences qui nuiraient à la portée du propos fanonien. Ainsi, le média relève des erreurs linguistiques, notamment dans l’usage de l’arabe algérien, mais aussi des approximations temporelles et théoriques, telles qu’un survol de la radicalité de Fanon ou encore la place secondaire accordée à sa femme, Josie Fanon, pourtant essentielle à son parcours.

Mais malgré ces critiques légitimes, Fanon reste un film important. Il a le mérite de remettre sur la table une partie de l’Histoire que la France peine toujours à regarder en face : celle de la période sanglante de la colonisation en Algérie et du combat de ceux qui ont choisi d’y résister. En la mettant en images, aussi imparfaites soient-elles, Jean Claude Barny lui donne une autre forme d’existence. Le cinéma devient ici un médium qui donne corps à une réalité trop souvent cantonnée aux livres : ce que les chiffres et les dates peinent à transmettre, l’image d’un enfant assistant à l’assassinat de son père par des soldats français le révèle avec une intensité brutale.

À travers cette approche visuelle, le film tend également la main à un public qui n’aurait peut-être jamais croisé la pensée de Fanon autrement. Ce caractère didactique, souvent critiqué, soulève pourtant une question légitime : n’est-ce pas, au fond, le meilleur moyen de transmettre l’histoire d’une figure emblématique de la lutte anti-coloniale restée absente des manuels scolaires ?

Fanon doit avant tout être perçu comme un acte de contribution à notre mémoire collective, bien plus que comme un chef-d'œuvre cinématographique. Sa simple existence constitue déjà un accomplissement majeur dans la mesure où il participe à l’intégration de la pensée de Frantz Fanon de manière plus large et populaire. Un film qui mérite d’être vu, partagé et débattu.

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